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Les
Editions Flammarion publieront
à
la rentrée un ouvrage retraçant les grandes heures de la Confédération C F T C. Nous vous proposons un petit entretien avec son
auteur, le sociologiste Philippe
Portier.
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Travailler
sur l’histoire de la CFTC, c’est
intéressant ?
Oui
! Et pour trois raisons. Regarder l’histoire
de la CFTC, c’est, d’abord, observer l’évolution
du catholicisme au long du XXe siècle, dans
ses continuités comme dans ses ruptures.
Ensuite, la CFTC n’a cessé d’évoluer
en fonction des demandes que la société
pouvait adresser aux syndicats : son
parcours constitue donc un très bel
observatoire de l’évolution du
syndicalisme. Enfin, il me semble que l’histoire
de la CFTC témoigne des apports du
catholicisme à la modernisation de la
société française.
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Idée
surprenante : on dit souvent que le
catholicisme s’est construit en opposition
à la modernité…
C’est
vrai. Mais en s’opposant à la modernité,
le catholicisme a précisément contribué
à la former et à la transformer. Il y a
manifestement des moments de notre histoire
qui ont été fortement configurés par le
catholicisme, avec, notamment, les
interventions de la CFTC sur le terrain
social.
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De
fait, la CFTC a permis de grandes avancées…
À
une époque où les patrons chrétiens
faisaient souvent de la résistance, la CFTC a
contribué aux lois de sécurité sociale dans
les années 20-30 : loi relative à l’assurance
maladie, loi relative aux retraites, lois sur
les allocations familiales… Puis en 1936 et
1950, loi relative aux conventions
collectives. Depuis cette époque, la CFTC n’a
eu de cesse de maintenir l’ensemble des
dispositifs de protection sociale.
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Pourquoi
les chrétiens – et en particulier les
catholiques – se sont-ils intéressés au
monde du travail ?
Au
XIXe siècle, la classe ouvrière a cherché
à construire des contre-feux à la modernité
politique et à la modernité industrielle qui
la marginalisaient. Deux réactions sont ainsi
apparues pour essayer de reconstruire la
dignité du travailleur : la tradition
socialiste et la tradition catholique.
Ceux
qui se réclamaient de l’idéologie
socialiste se retrouvaient tendanciellement
dans l’idée qu’il fallait construire la
société sur la lutte des classes et une
intervention très forte de l’État. Cela s’accompagnait
souvent d’un anticléricalisme – car pour
eux, les principes de la religion,
essentiellement catholique, semblaient souvent
favorables au maintien de l’ordre établi.
Cette tradition socialiste donnera naissance,
en 1895, à la CGT.
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Et
la tradition catholique ?
Construite
contre le libéralisme bourgeois tout au long
des XIXe et XXe siècles, elle n’était pas
moins active. En effet, le catholicisme ne
peut pas concevoir que l’on traite les
travailleurs comme de simples forces
techniques ou marchandes et considère donc qu’il
faut préserver la dignité du travailleur
contre l’ordre bourgeois qui s’impose.
Traditions
socialiste et catholique sont-elles forcément
opposées ?
Elles
sont toutes deux construites autour du même
refus de la modernité libérale, mais avec
des analyses et des perspectives profondément
différentes. D’un côté, on estime que l’ordre
futur doit se passer de dieux, de l’autre,
on estime que l’ordre futur doit s’appuyer
sur des principes chrétiens.
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Peut-on
dire que le syndicalisme chrétien a été
pionnier sur la place des femmes ?
Oui.
Et ce dès ses débuts, dans les années 1890.
Tout en répondant à un schéma traditionnel
« homme = sphère publique / femme = sphère
privée », le syndicalisme chrétien, avec le
soutien de religieux et de religieuses, a
trouvé des espaces pour que les femmes s’organisent
au sein du monde syndical. D’où l’existence
d’un syndicalisme spécifiquement féminin
jusqu’en 1945, matérialisé par des
revendications destinées à améliorer la
condition féminine. Le syndicat féminin du
Boulevard des Capucines, affilié à la CFTC,
affirmait ainsi en 1935 : « Ce qui fait le
salaire, ce n’est pas le sexe, mais le
rendement. »
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Selon
vous, comment s’explique la longévité de
la CFTC ?
Comme
d’autres, depuis les années 1945 et sans
discontinuité, elle a bénéficié d’une
représentativité reconnue par les pouvoirs
publics, ce qui lui donne une visibilité et
lui permet d’être au cœur des débats et
des négociations en entreprise et au niveau
national. Mais ce qui est vraiment frappant, c’est
la très forte combativité de la CFTC.
Menacée tout du long de son histoire, elle n’a
jamais baissé les bras : malgré le désir d’hégémonie
de la CGT, malgré des oppositions au sein du
catholicisme – car la CFTC a souvent pris
des positions audacieuses notamment en
participant à des grèves – ; malgré,
encore, des conflits internes dans les années
1950.
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Vous
évoquez aussi sa capacité d’adaptation…
Au
fil des ans, la CFTC a renouvelé ses
thématiques, ses modes de militance et ses
structures. Elle participe à la modernisation
du pays. Dans les années 40, par exemple,
elle est favorable aux nationalisations dans
certaines limites ; dans les années 50, elle
prend position sur l’Europe, la
décolonisation de l’Algérie… Et à
partir des années 80, la CFTC réinvente sa
tradition.
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«
Réinventer sa tradition » : qu’y a-t-il
derrière cette formule ?
Sans
se départir des principes de la morale
chrétienne, la CFTC essaie de les adapter au
cours du temps. Ce cours du temps, c’est l’individualisation
de la société – et en particulier le
néolibéralisme qui progresse – et la
mondialisation. La CFTC veut essayer de coller
à une société qui évolue
considérablement, tout en préservant l’efficacité
de l’économie, mais aussi la dignité des
travailleurs. Partant du constat de la
mondialisation et de l’individualisation, la
CFTC réfléchit à la sécurisation du
parcours du travailleur.
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Un
des premiers Logo CFTC |
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Philippe
Portier, né
le 25
octobre
1955
à Vannes
(Morbihan),
est sociologue, spécialiste
des questions de laïcité et du
catholicisme. Il est directeur d’étude
à l’École pratique des hautes études
et vice-président de l’école. Il
est codirecteur de l’Observatoire
international du religieux. Jusqu’en
janvier 2019, il a dirigé un
laboratoire du CNRS, le groupe « Sociétés,
Religions, Laïcités ».
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