Madame
la Députée, Monsieur le Député,
Vous allez prochainement avoir à vous prononcer sur le
travail du dimanche.
Ce que la CFTC et beaucoup d'autres défendent avec le repos
dominical, ce n'est pas un simple et nécessaire temps de
repos, c'est une civilisation au sens premier du terme,
c'est-à-dire faire passer une collectivité à un état
social plus évolué, plus humain.
Déjà au XVIIe siècle, certains beaux esprits prônaient le
travail sept jours sur sept afin, disaient-ils,
"d'enrichir la société". Aujourd'hui, on voudrait
nous faire croire que la France irait mieux si l'on pouvait
pousser le Caddie tous les jours.
En 1906, la chambre laïque de la séparation de l'Église et
de l'État fixa dans la loi le principe du repos dominical.
Principe non figé, puisque, en un peu plus d'un siècle,
nombre d'exceptions de bon sens sont venues confirmer la
règle.
Aujourd'hui, l'enjeu c'est l'ouverture des grandes surfaces le
dimanche, les partisans de la déréglementation s'appuyant
principalement sur l'idée de liberté et du fait accompli.
Or, il n'y a pas de véritable liberté sans la diversité et
la généralisation de l'ouverture des grandes surfaces le
dimanche, c'est la destruction du commerce de proximité, les
grandes surfaces "cannibalisant" les parts de
marché.
Adieu les marchés traditionnels du dimanche matin quand la
grande distribution pourra ouvrir le jour du Seigneur. Adieu
aussi la diversité des sources d'approvisionnement; l'exemple
de l'édition devrait nous alerter: au fur et à mesure que
disparaissent nos libraires de quartier, les maisons
d'édition indépendantes s'éteignent. L'artisan ou le petit
commerçant peuvent-ils ouvrir sans interruption, sept jours
sur sept? N'ont-ils pas droit, eux aussi, à une vie de
famille, à une vraie vie sociale? Comment peuvent-ils
résister à la formidable pression marketing des grandes
surfaces? Comme cette publicité diffusée en décembre, dans
le Val-d'Oise, promettant moins 50% sur les jouets achetés le
dimanche et uniquement le dimanche dans les magasins Leclerc.
Qu'en sera-t-il de la libre concurrence, quand il n'y aura
plus de concurrence? Faudra-t-il un nouvel impôt pour payer
les minibus qui devront amener les personnes âgées faire
leurs emplettes dans les centres commerciaux, quand nos
centres-villes, nos bourgs et nos villages seront
complètement désertifiés ? Socialement, comme le déclarait
Renaud Dutreil quand il était ministre des PME, l'ouverture
des commerces le dimanche entraînerait "la destruction
de centaines de milliers d'emplois", destruction non
compensée par des créations de postes dans la grande
distribution.
Quant à la liberté de choix du salarié, elle est
imaginaire. Le demandeur d'emploi a-t-il le choix si on lui
propose un contrat de travail avec une clause stipulant, qu'à
la demande, il devra travailler le dimanche? Le salarié du
commerce a-t-il le choix quand il sait que son refus aura pour
conséquence de mettre en péril son emploi ou de se retrouver
le plus mal placé pour la prise de congés et les
augmentations de salaire?
Le gros des troupes de la grande distribution est constitué
de mères de famille, employées à temps partiel (salaire net
moyen mensuel: 750 €). Dans ces conditions, a-t-on la
liberté de dire oui ou non pour travailler le dimanche ? Il
est à noter que ceux qui ont légalement le droit de
travailler le dimanche, et les moyens financiers d’exercer
ce droit, font très largement le choix du repos dominical.
Combien de cabinets médicaux sont ouverts le septième jour?
Enfin, le fait que de grandes enseignes ouvrent illégalement
depuis des années démontrerait que cela est "une
évolution sociétale inéluctable". Mais c'est la
volonté, le courage ou la lâcheté des hommes qui fait la
société et non un hypothétique sens de l'histoire. Quant à
cette légitimation de la violation de la loi, elle est
moralement irrecevable. Le grand groupe qui ne respecte pas la
règle républicaine au prétexte que cela permet de faire du
chiffre n'est pas plus justifiable que le pickpocket qui, lui,
vole aussi pour faire du chiffre.
Les sondages indiquent qu'un grand nombre de nos concitoyens
serait favorable à l'ouverture des commerces le dimanche.
Mais, outre que personne ne s'oppose à l'achat du croissant
le dimanche matin avant de faire son marché, la vraie
question est: voulez-vous personnellement travailler le
dimanche? Et là, une écrasante majorité répond non!
Doit-on souhaiter aux autres ce que l'on ne désire pas pour
soi-même?
L'équilibre entre bien commun et pulsion individuelle mérite
que l'on refrène des mécanismes économiques aveugles ou des
désirs de consommation immédiats, pour laisser s'épanouir
la vie familiale, les liens sociaux et la vie spirituelle. Le
respect du repos dominical permet de briser l'enchaînement
qui réduit l'homme à sa dimension matérielle.
Madame la députée, Monsieur le Député, nous comptons sur
vous pour préserver cette liberté essentielle et vous prions
de recevoir nos sentiments les meilleurs. "
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